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Denis DUPRE avec la complicité de Véronique METAY
Effondrement
Choisir la violence ou la révolution
Dessin de Véronique SAHAGIAN
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ISBN : 978-2-9563-3781-2
Jouquetti Libre, Furmeyer, 2018
Diffusion libre et gratuite.
Illustration de couverture : Véronique Sahagian
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Effondrement
Choisir la violence ou la révolution
Depuis vingt ans, dans des journaux grand public, j’ai publié une centaine d’articles... parce que je me sentais
interpelé par ce qui m’apparaissait des urgences. Il était question de participer à la réforme de nos manières
de faire et de vivre ensemble.
Aujourd’hui, je regroupe tous mes articles pour regarder la cohérence et l’évolution du cheminement de ma
pensée. A leur relecture, je pense que ces combats pour des réformes n’ont plus d’utilité face à l’effondrement
certain de notre société. Nos protestations sont vaines...Parce que les réformes désirées ne sont pas radicales
et parce qu’elles ne se donnent pas les moyens de bousculer nos systèmes économiques et sociaux basés sur
la compétition.
En effet, depuis 50 ans, malgré les alertes, nous n’avons rien changé à nos pratiques, nous avons mondialement
poursuivi le business as usual1
. Aujourd’hui nous suivons un scénario où la population mondiale va croître
jusqu’en 2030 pour diminuer ensuite très rapidement et évidemment de façon très violente, jusqu’à ce qu’elle
puisse être adaptée à une planète ravagée. L’effondrement est lié en particulier à notre système d’organisation
basé uniquement sur la compétition et à nos désirs insatiables.
L’effondrement est devant nous.
Les effets de l’effondrement sont aggravés parce que nous n’attachons plus de valeur à ce qui nous permet de
faire société. Aristote expliquait que celui qui ne peut pas vivre en société, ou qui n’a besoin de rien parce
qu’il se suffit à lui-même, ne fait point partie de l’État ; c’est une brute. Nous sommes devenus des brutes, ou
en voie de le devenir.
Nous avons fabriqué nos solitudes et il nous faut ensemble reprendre le pouvoir sur nos vies.
Ce recueil d’articles au goût d’autobiographie appelle à une révolution.
I. Les protestations devant notre maison qui brûle, sont devenues vaines. ...................................................4
II. Les protestations pour une finance au service de tous, demeurent dérisoires..........................................5
III. Les protestations sur la transparence fiscale des grandes entreprises sont des leurres. .........................8
IV. Les protestations pour une gestion par tous de nos affaires communes, demeurent illusoires. ...........10
V. Des protestations à une révolution .........................................................................................................12
VI. Face à l’effondrement : reprendre du pouvoir sur nos vies. ..................................................................14
Qui sommes-nous?.......................................................................................................................................16
Articles et actions politiques........................................................................................................................17
1 Continuer les pratiques d’organisations du commerce mondial et des institutions sans en changer malgré les alertes sur la toxicité
du système en vigueur.
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I. Les protestations devant notre maison qui brûle, sont devenues vaines.
J’ai rencontré Pierre Rabhi en 2000. Il était, à l’époque,
un des rares à avoir compris deux enjeux stratégiques
pour notre avenir commun : que la petite couche
d'humus qui nous nourrit est fragile et que notre
société basée sur le carbone, est vouée à s'effondrer.
J’ai pu longuement l’interroger (voir les vidéos ici),
souhaitant soutenir son projet d’agro écologie au
service des plus pauvres. J'ai écrit en 2005 un texte
pour résumer les problèmes qu'il décrivait (lire "Le
petit prince Rabhi").
De 2000 à 2016, j’ai donné des cours d'éthique à
l'ENSIMAG qui forme des ingénieurs spécialistes de
finance et de mathématiques financières et à l'IAE dont
les étudiants sont appelés à être gestionnaires en
finance, ressources humaines et marketing. Avec eux,
j’ai visionné, entre autres, le film sorti en 2005 "Le
Cauchemar de Darwin". J’ai chaque année proposé à
mes étudiants de préparer des exposés sur des sujets
de leur choix. Nous avons découvert ensemble que,
quel que soit le sujet qu'ils creusaient, il semblait que
l'on arrivait à des impasses écologique et humaine :
disparition des abeilles, conflits sur l'eau, obsolescence
programmée, émeutes de la faim, changement
climatique, etc. (voir best-off des travaux des
étudiants).
En mai 2008, avec Michel Griffon, nous avons publié
"La Planète, ses crises et nous". Ce livre faisait un état
des lieux, en particulier sur les questions énergétiques
et alimentaires (lire l'introduction). Nous y avons
détaillé les changements possibles pour assurer un
monde durable pour 2050 (lire ici). J’ai pris conscience
que les crises de la finance, du climat, de la nourriture
et de l'énergie sont liées et qu’elles nous conduisent à
une récession violente et sans fin ([6]). J’ai acquis la
certitude que si nous ne gérons pas la décroissance,
elle nous sera imposée par la réalité physique avec
violence.
Dès 2009, j’ai mesuré les limites des discours
écologiques ([13] et [49]) dès qu’ils servent des intérêts
politiques partisans ou satisfont au greenwashing des
institutions. En 2015, j’ai souligné comme ils étaient
même inaudibles face à l’absence de stratégie de nos
dirigeants notamment au niveau européen pour nous
éviter les pollutions de l'énergie du charbon dont la
Chine souhaite se débarrasser ([37]).
Suivant de près les positions des experts, comme le
GIEC, sur l’évolution du climat, il m’a semblé que nous
pouvions limiter les dégâts par des actions radicales.
Pourtant, 40 ans après la publication de Limits to
growth, en 2012, Dennis Meadows qui présentait la
mise à jour de son modèle, lançait une dernière alerte
pour limiter la croissance alors que Lester Brown,
connu depuis 30 ans pour son plan B pour la planète,
annonçait lui aussi que nous étions à la date du
basculement irréversible (voir World on the Hedge ).
C’est à cette époque que j’ai entamé une collaboration
avec l’équipe STEEP de l’INRIA de Grenoble dans l’idée
de concevoir des outils pour répondre aux enjeux
écologiques au niveau des territoires. Si les questions
environnementales butaient sur des solutions
coordonnées pour toute la planète, nous avions la
conviction qu’il convenait d’agir localement, au sein de
communautés à taille humaine : notre territoire.
En 2015, une revue scientifique de premier ordre,
Nature, publiait un article qui démontrait que, pour
préserver notre avenir climatique, il faudrait laisser
80% des ressources énergétiques sous terre. Pour cela,
il m’est apparu qu’un plan Marshall mondial financier
était incontournable ([50] et [52]) et je l’ai décrit à
l’occasion d’un exposé au Grand Palais dans le cadre de
la COP21. Mais les conclusions de COP21, réunissant
140 chefs d'états en grande pompe à Paris, n'ont pas
abordé cette question vitale.
Avec un souci d’information et de partage des
expériences concrètes, nous avons avec l’équipe
STEEP pris l’initiative des conférences Comprendre et
agir ici.
Depuis qu’en septembre 2017, Dennis Meadows a
affirmé qu'il était trop tard (vidéo about the State of
our Planet : 45 years after "The Limits to Growth"), je
me suis rendu à l'évidence : le climat sera maintenant
incontrôlable, quoique nous fassions.
Nous sommes en perdition et j’ai cosigné avec plus de
15000 scientifiques mondiaux l’alerte à l’humanité
([94]). La question se pose alors pour chacun :
comment survivre? Que faire? ([80]). Nous pouvons
faire l'autruche. En effet, comme je l’ai décrit dans un
article ([85]), notre cerveau ne semble pas capable de
percevoir l’ampleur de ce terrible effondrement
pourtant devant nous.
Pourtant, sans même voyager, il suffit d’ouvrir les yeux
autour de soi pour conforter notre intuition avec les
discours des scientifiques en ce qui concerne les
dégradations sur la nature. Une étude internationale
parue dans PLoS One récemment a conclu à un déclin
des populations d’insectes volant de l’ordre de 80% en
trente ans en Europe.
Je constate que malgré les discours et les efforts des
bonnes volontés, nous n'avons JAMAIS diminué notre
consommation mondiale annuelle d'énergie fossile.
Certes, il y a des responsables mais notre inertie
collective est aussi à déplorer.
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II. Les protestations pour une finance au service de tous, demeurent dérisoires.
Avant d'enseigner à l'université, j'ai travaillé 15 ans
dans la finance. Au Crédit Foncier de France puis au
service général des Caisses d’Epargne, enfin à la Caisse
des Dépôts et Consignations. Du service informatique
au service de direction générale, en passant par le
montage de titrisation à la gestion des fonds communs
de créances, puis à la modélisation des risques
financiers. J'ai vu de près les débuts des dérives du
système financier. En 1997, j’ai achevé une thèse de
gestion et j’ai choisi de m’engager dans l'enseignement
de la finance et l'éthique.
En 1998, j'ai rédigé mon premier article pour la presse.
J’y dénonçais l’organisation de nos échanges comme
cause d'un potentiel effondrement mondial en faisant
l’analogie entre notre mode d’économie mondialisée
et le Titanic ([1]).
En 2000, j'ai publié à compte d’auteur, un petit livre qui
décrivait nos responsabilités. Nous ne luttons pas
contre les mafias, nous consommons sans tenir
compte de la dignité des producteurs ni de la nécessité
de favoriser la production locale, etc. (Lire Capitaliste
et fier de l'être : 7 principes pour sauver nos âmes).
En 2002, j'ai dirigé la rédaction d’Éthique et
capitalisme, un ouvrage pluridisciplinaire (économie,
philosophie, finance, éducation, théologie,
sociologie...) avec la participation de Bernard Perret,
Gérard Verna, Véronique Métay, Isabelle Girerd-Potin,
Pierre-Patrick Kaltenbach, Denis Müller, Hughes Puel,
Yvon Pesqueux et Patrice Meyer-Bisch. Ce livre
soulignait les difficultés de faire exister une éthique du
vivre ensemble dans la version moderne du capitalisme
(lire ici un extrait du livre Éthique et capitalisme). Deux
constats émergeaient : les entreprises avaient pris le
pouvoir et ne cherchaient plus à répondre aux intérêts
de la société et une corruption généralisée était en
expansion inquiétante. Les frontières entre légalité et
légitimité devenaient de plus en plus floues.
La crise économique de 2008 dévoile ses similitudes
avec celle de 1929 : les mêmes mécanismes
d'endettement, de spéculation et d'écart croissant
entre des riches toujours plus riches et des pauvres
toujours plus pauvres sont à l’œuvre (voir ici film sur la
crise de 1929). Parmi les économistes, quelques-uns
ont eu la lucidité de suggérer de limiter la spéculation
et le crédit. C’est le sens des propositions de
l’économiste français Maurice Allais et de l’américain
Paul Volker, peut-être parce qu’ils ont vécu dans leur
enfance les ravages de la crise de 1929. Ils ne seront
pas écoutés et il n'y aura pas de Bretton Woods II.
Pour ma part, je défends en 2008, une nouvelle
régulation qui devait limiter les possibilités de la
spéculation ([7]).
En 2012, avec deux professeurs de finance, Marc
Chesney et Ollivier Taramasco, nous soutenons même
qu'il faut limiter la bourse à une seule cotation
journalière pour que l'entreprise et l’économie réelle
retrouvent une place prépondérante face à la
spéculation ([24]).
Selon moi, il est urgent de réguler la finance casino. En
2009, en utilisant mon expérience de modélisation
mathématique, je démontre que le casino financier est
possible parce que les mathématiciens de la finance
font croire qu'ils maitrisent les risques ([10]). En 2012,
avec Marc Chesney et l'économiste Paul Jorion, nous
mettons en garde contre l'expansion sans limite, de la
finance casino ([21]). Malgré la crise, son expansion a
continué de plus belle. Les montants en jeu dans cette
finance-casino correspondent, en 2017, à la somme
astronomique de 100 000 dollars de paris pour chacun
des 7 milliards d'habitants de la planète. On parie sur
tout : le prix futur de l'or, du dollar, du pétrole mais
aussi du maïs. On parie sur la faillite des entreprises ou
des états.
La BCE (Banque Centrale Européenne) est venue au
secours des banques privées en 2008. Il fallait dans
l’urgence éviter l’effondrement. Mais la banque
centrale aurait dû protéger les déposants et non les
actionnaires des banques ([12]). La BCE a poussé les
états, non pas à nationaliser pour rien les banques en
faillite comme il aurait convenu, mais à renflouer les
actionnaires en garantissant les banques privées,
transférant de l'argent des contribuables vers les
banques privées ([18] et [19] puis [20]).
Les états endettés se sont vu imposer des taux
d’intérêts exorbitants par les banques privées. Or, il y
avait une possibilité légale de refinancer les états, à
moindre taux, sans passer par les banques privées, ce
que la BCE à l’époque a fait semblant de ne pas voir
([22] et [23]). De plus, la façon dont s’est déroulé le
sauvetage des banques chypriotes a montré que
l’Europe a délibérément laissé les gros déposants fuir
et ne pas participer au renflouement des banques alors
que la classe moyenne chypriote était lourdement
ponctionnée ([25] et [26]).
Il me semble essentiel de contrôler démocratiquement
la création monétaire par la banque centrale.
Sans objectif écologique, la BCE a refusé en 2014,
d’orienter son financement massif de 1000 milliards
par an vers les entreprises qui auraient permis une
transition énergétique rapide et concrète ([30] et [31])
Il m’apparait fondamental de réguler la dette et
pousser aux remises de dettes quand elles sont
indispensables. La phase d'endettement dans une
période d'euphorie est confortée par les techniques
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financières actuelles. La problématique de
l’endettement n’a rien de neuf et, dans l’histoire
humaine, nombreux sont les exemples où les religions
et les civilisations ont tenté de le limiter. Le créancier
ne pouvait pas, dans le code Hammurabi d'il y a 4000
ans, saisir ni la maison ni l'outil de travail du débiteur
insolvable ([38]). Les principes pourtant clairs à ce sujet
de la finance islamique n’ont même pas été respectés
dans les projets démesurés des états pétroliers
endettés comme Dubaï ([11]). Dans le cas grec, la
remise de dette s'avérait indispensable ([40]). Elle a
pourtant été refusée par la France ([39]) qui se targue
si souvent de sa générosité. Sans remise de dette, des
pays ont été, et d’autres seront, de facto colonisés ([32]
et [46]).
Il m’est apparu que pour assurer à leurs populations
une forme de résistance aux crises, les états devraient
s’assurer la souveraineté sur les biens vitaux. En 2010,
cherchant ce que devrait être la finance éthique,
j’affirmais qu’elle devrait se concentrer sur deux
objectifs oubliés. D’une part, la finance devrait
permettre une certaine égalité de consommation entre
les hommes, consommation compatible avec le
respect de la planète. D’autre part, pour espérer
atténuer l’effondrement, la finance ne devrait pas
permettre à certains de s’approprier les biens vitaux,
ces biens qui deviennent des raretés comme l'eau et la
nourriture, et devrait participer à ce que chacun ne
consomme que sa « juste part » ([14]). A l’opposé de
ces préconisations, en Europe, c’est la colonisation des
pays surendettés par leurs créanciers qui est en cours
([15] et [27] et [91] puis [97]) alors qu'il faudrait une
politique coordonnée européenne qui vise un degré
d’autonomie raisonnable des territoires. Pour
l’atteindre, la création monétaire par la Banque
Centrale pourrait rembourser la part excessive de la
dette des états ([16] et [17] puis [43]).
La résistance des territoires à la crise mondiale est
rendue d’autant plus difficile que les très grandes
entreprises dominent de plus en plus les états grâce
aux traités internationaux et à la justice d'arbitrage
privée mise en œuvre. Et c’est avec la complicité active
d’une large majorité des dirigeants européens que les
petites entreprises à l’attachement plus territorial,
elles, sont désavantagées ([41]).
Enfin, la monnaie, qui devrait être gérée comme un
bien commun au service de tous sur un même
territoire, ne fonctionne plus selon cet objectif. Dans le
même temps, des monnaies privées se développent
rapidement. Avec Jean-Michel Servet et Jean-François
Ponsot, nous avons alerté dès 2014 des dangers du
bitcoin et des monnaies contrôlées ni par les états ni
par les citoyens ([29]) et nous en avons souligné leur
inutilité et, voire dans certains cas, leur nuisance dans
la gestion des communs.
Alors que le dogme du marché efficient conduit à
l’extension du marché à tous les actes de la vie
quotidienne et continue à répandre les dégâts de la loi
du plus fort, la dictature de la pensée dominante en
finance et économie détruit la possibilité de penser et
de faire autrement. Une finance alternative reste peu
audible. Je suis convaincu que s’il convient de
renforcer la régulation dans les domaines précédents
(spéculation, finance des paris, dettes, privatisation
des biens vitaux, etc.), il convient de libérer la pensée
économique.
Un exercice de haute-voltige - Denis et Véronique Dupré au First
Change Finance forum, Financewatch, 5 décembre 2017, Bruxelles.
C’est dans ce sens, que j'ai participé en 2011 avec des
confrères, au lancement d’un appel ([101]) qui
dénonçait que, trois ans après la crise, les universitaires
en économie et finance continuaient à enseigner des
théories soumises à une pensée dominante au service
des détenteurs de capitaux et non des intérêts de la
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