Quand le Gouvernement et le Parti socialiste s’embourbent à Notre-Dame-des-Landes

Quand le Gouvernement et le Parti socialiste s’embourbent à Notre-Dame-des-Landes…

Depuis samedi dernier (17 novembre 2012) ministres, et non des moindres tels E. Valls, N. Belkacem…, et leaders du Parti socialiste s’emmêlent les pieds avec des rappels virulents à la loi, au droit, précisant qu’il s’agit de lois décidées par des instances démocratiques. Tout cela paraît bien vain au regard des enjeux  écologiques, économiques et politiques soulevés par l’implantation d’un aéroport pharaonique à Notre-Dame-des-Landes (NDDL). La contestation, par définition, s’oppose à des lois ou règlements jugés inappropriés. Les lois, même décidées par des instances démocratiques, ne sont pas pour autant forcément justes ou adaptées à la situation du moment et la désobéissance civile devient alors nécessité et “nécessité n’a point de loi !”.
Dans la période de grande incertitude que nous vivons, bon nombre de nos référentiels en matière de production de biens, de rapport à la consommation… sont remis en question, déjà par l’obligation vitale de sauvegarder la planète-Terre, sauvegarde passant, entre autres, par une re-territorialisation des productions et de la consommation (développement local et durable) avec réduction des transports. Or le projet d’aéroport de NDDL, au nom de la compétitivité mondiale, va complétement à contre-sens de ces intentions, pourtant longuement développées lors des dernières campagnes électorales, où en est par exemple le concept de “transition écologique” ?
Parmi ces ministres et leaders socialistes, certains sont en âge d’avoir connus les grands mouvements sociaux des années 1970 et plusieurs y ont même été directement impliqués, en auraient-ils perdu la mémoire ? Pourtant LIP, le Larzac (10 années de mobilisation, avec construction illégale d’une grande bergerie sur un terrain “occupé”), Plogoff (plus grosse manifestation contre le nucléaire civil : 100 000 personnes en août 1980)…, allaient bien à l’encontre de lois démocratiquement votées ou de décisions judiciairement validées, fermeture de LIP par exemple dont les locaux furent occupés par deux fois dans la plus grande illégalité. Ces grands moments de désobéissance civile rassemblaient des milliers de personnes et ont marqué toute une génération de la plus extrême-gauche à la gauche de gouvernance toutes classes sociales confondues.
Et en mai 1981, à son arrivée à la présidence de la République, quelles furent deux des toutes premières décisions de François Mitterrand ? Arrêt immédiat de l’extension du camp militaire du Larzac alors que 6 000 hectares avaient déjà été expropriés, et abandon du projet de construction d’une centrale nucléaire à la Pointe du Raz, tout simplement ! Décisions hautement symboliques et qui rassuraient.
Toujours en 1981, et dans la grande dynamique de pouvoir à nouveau décider d’une politique sociale de gauche, le gouvernement donnait des signes forts facilement perceptibles car touchant de près à la vie quotidienne de tout le monde : augmentation significative du SMIC, des allocations familiales et des retraites, abrogation de la peine de mort, mise en route d’un gros chantier sur de nouveaux droits pour les travailleurs (lois Auroux), etc. Il fallut certes assez vite quelque peu déchanter, mais il y avait eu du grain à moudre ! Dans le passé, quand la gauche a exercé le pouvoir, 1936-1945-1981, elle a toujours su prendre des décisions de politique sociale importantes, qu’en est-il en 2012 alors qu’elle gouverne à nouveau ?
À l’évidence François Hollande et son gouvernement ont un projet à moyen et long terme : sortir le mieux possible de la crise grâce à une Europe renforcée capable de tenir tête aux intentions hégémoniques des États-Unis et de la Chine, d’où les idées de pacte, de compétitivité, de réduction de la dette… Projet intéressant, discutable et discuté par des experts de tous bords, mais qui paraît lointain, voire abstrait et peu compréhensible pour une bonne partie du peuple qui ne voit rien de très concret se profiler dans le court terme.
Qu’en est-il en effet de l’amélioration de la vie quotidienne des “gens de peu” (Pierre Sansot, 1991, éd. PUF), ceux et celles que l’on entend rarement dans l’espace public, citoyens souvent non votants, beaucoup plus préoccupés par leur endettement, voire surendettement, que par celui de la France, tout en se rendent bien compte qu’une minorité peut à loisir se prélasser sur la Côte-d’Azur ou équivalent, tout en cherchant à payer le moins possible d’impôts ! Tout cela fait mal à bon nombre de gens et jusqu’à présent aucun véritable signe ne permet de penser que le gouvernement se préoccupe un tant soit peu de leur sort, si ce n’est le signe on ne peut plus négatif d’une augmentation de la TVA, et même si cette augmentation est modulée et finalement légère, le seul message entendu est bien : “mon pouvoir d’achat, déjà bien faible, va encore diminuer”. Et c’est ainsi que la solidarité peut apparaître à tort ou à raison, plus être orientée vers les “entrepreneurs pigeons” que vers les travailleurs. La gauche de gouvernance d’aujourd’hui ne devrait pas se contenter de vouloir prouver qu’elle peut être excellente gestionnaire du bien public, il y a d’autres enjeux dont celui du monde de demain.
Dans Médiapart (24 nov.), Jean Mézières titre à propos de ce qui se passe à NDDL “Ici commence le monde de demain” :
« D’un côté, dit-il, comme tous ceux qui se sont rendus samedi 17 dernier à Notre-Dame-des-Landes ont pu en témoigner, des chaînes humaines de centaines de personnes, un village sorti de terre en une journée, des rires, des fanfares, des discussions […]
De l’autre, des ‘’décideurs’’ responsables, déjà habitués à gouverner et qui ne peuvent plus faire maintenant appliquer leurs décisions responsables au service de l’économie abstraite qu’en faisant intervenir la police. Il faut tout leur aveuglement pour ne pas savoir où nous conduit, et à très court terme, cette vision des rapports humains. »
Edgar Morin affirme à juste titre que l’ordre humain ne va pas sans le désordre, le tout étant de savoir « si les progrès de la complexité, de l’invention, de l’intelligence, de la société, se sont faits malgré, avec ou à cause du désordre, de l’erreur, du fantasme […], la bonne réponse ne pouvant être que complexe et contradictoire » (Edgar Morin, Le Paradigme perdu, 1973, Seuil).
Ordre et désordre se côtoient, s’affrontent à NDDL et cette situation n’est certainement pas due à de “petits états d’âme personnels” (H. Désir), il s’agit encore moins d’un “kyste” (E. Valls) qu’il faut supprimer par tous les moyens. Bien au contraire, c’est d’un mouvement social dont il est question, mouvement appelé à prendre de l’ampleur si l’on reste dans des postures de violence et d’intransigeance. Les anathèmes, pas plus que la méthode Coué, répétition à l’envie par exemple du “nous appliquons la loi, que la loi“, ne font pas avancer les problèmes. Aussi, le gouvernement gagnerait en crédibilité s’il décidait d’un véritable moratoire qui permettrait, en prenant le temps, de remettre tout le projet à plat, avec la possibilité qu’il soit définitivement abandonné ; la “commission du dialogue” annoncée par le Premier ministre n’a rien à voir avec cela puisqu’elle n’offre aucune possibilité de revenir sur le projet, comme vient de l’affirmer fermement la porte-parole du gouvernement.
Plus généralement, on peut aussi vivement souhaiter que le Président de la République et le gouvernement décident rapidement de signes concrets prenant sens dans la vie quotidienne de tout le monde et pas seulement dans celle de minorités qui savent se faire entendre dans la société civile ; une augmentation significative des plus bas salaires serait certainement bien perçue, quitte à diminuer quelque peu les plus hauts afin de ne pas augmenter les masses salariales ; n’est-ce pas ce que appelle “partager” ou réduire les inégalités ?
Quant au PS, complètement scotché au gouvernement, il ferait bien de retrouver un peu d’analyse critique et ne pas se contenter d’être un simple relai des décisions gouvernementales.
Enfin, pour ne pas prendre à la lettre les envolées lyriques du Premier ministre : “Un aéroport qui répond aux défis de notre temps”, la lecture d’un excellent article de Pierre Deruelle permet de se faire une idée précise de la situation à NDDL.

Pierre Thomé, 25 novembre 2012

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