La guerre, une réalité bien zappée…

interdiction d entrerUn message de Ben CRAMER, auteur de GUERRE ET PAIX… ET ECOLOGIE. Guerre et paix… et écologie

Une réflex­ion s’impose sur les mythes relat­ifs à l’arme nucléaire. L’ouvrage ‘Armes Nucléaires – 5 mythes à décon­stru­ire ’ de Ward Wil­son (pré­facé par Michel Rocard et traduit par Danièle Fayer-​Stern) que le GRIP vient de pub­lier à Brux­elles arrive à point. Je ne voudrais quant à moi en relever qu’un seul : ‘La bombe, le garant de la paix ’. Je pour­rais évidem­ment en citer d’autres : le mythe relatif au coût infime que cette arme allait représen­ter par rap­port à sa ‘force de frappe ’, sa puis­sance destruc­trice. Celui de trem­plin pour dis­poser d’un siège (ou strapon­tin) au Con­seil de Sécu­rité. Celui d’atout majeur pour être indépen­dant des blocs et coali­tions mil­i­taires, alors même que la France et le Royaume-​Uni s’accommodent fort bien d’être à la fois puis­sances nucléaires et mem­bres de l’OTAN ! Et que nul ne s’offusque à Paris ou à Lon­dres que ce soient les Etats-​Unis d’Amérique qui dis­posent du plus grand arse­nal nucléaire sur le con­ti­nent européen ! Mais je voudrais m’arrêter sur le pire d’entre eux : le mythe selon lequel l’atome ‘nous aurait évité la guerre depuis 1945 ’. Ce mythe — que des his­to­riens plus com­pé­tents que moi pour­raient aisé­ment réfuter — est le plus ravageur pour la sim­ple rai­son qu’il a rendu pos­si­ble, ici, chez nous, deux erreurs d’appréciation. Il a non seule­ment tron­qué notre his­toire depuis 45, mais il four­nit par la même occa­sion les clefs de l’impasse d’un cer­taine paci­fisme. De notre refoulé. Expliquons-​nous.
Le pre­mier trucage con­cerne la rai­son d’être de l’unification européenne. Alors que le ‘Marché Com­mun ’ a été la base économique de l’OTAN, comme le rap­pelait d’ailleurs Michel Rocard au début des années 70, on nous a leur­rés et barat­inés en nous présen­tant ce pro­jet comme un pro­jet pacifi­ca­teur et le sum­mum, le ‘top ’ de la réc­on­cil­i­a­tion entre les peu­ples. Toute­fois, si l’on parvient à se défaire de la pol­lu­tion men­tale que représente cette pro­pa­gande du ‘monde libre ’, la lib­erté de cir­cu­la­tion des marchan­dises tant prisée par les Européens (de la CEE, avant l’UE) visait aussi et surtout à éradi­quer le «com­mu­nisme» de l’Ouest du con­ti­nent, avant même que le visa OTAN devi­enne un passe­port pour inté­grer l’UE. Pourquoi tant d’efforts ? Parce que nos élites des deux côtés de l’Atlantique étaient per­suadées que le com­mu­nisme ne pour­rait con­t­a­miner que les pau­vres ! (cf. à ce pro­pos les analy­ses de JP Vernant).

La paix ici, oui…parce que la guerre là-​bas !

MARIANNE en PLEURSLa sec­onde tromperie à l’égard des peu­ples européens est pire encore. Nul n’a osé expli­quer que si nous béné­fi­cions présen­te­ment de la paix ici, dans cet espace bien délim­ité, c’est parce qu’il y avait la guerre…ailleurs. Que les cen­taines de con­flits et les mil­lions de morts et de blessés de par le monde, c’était le prix à payer pour avoir un peu de calme, de répit à nos fron­tières schen­genisées. La guerre ailleurs assur­ait notre paix ici. Il aura fallu beau­coup d’années otanesques, des bom­barde­ments et mas­sacres offi­cielle­ment ‘de faible inten­sité ’ dans la périphérie, dans les ban­lieues de l’Europe, dans cette zone grise entre les Balkans et le Moyen-​Orient, des atten­tats ici avec ses cen­taines victimes…pour que le lien soit établi, le lien de cause à effet entre notre si pais­i­ble Union Européenne (qui a kid­nappé à son profit l’espace pan-​européen et flingué le chantier du Con­seil de l’Europe) et la stratégie du chaos mani­gancée (bien avant la pre­mière guerre d’Irak) sous d’autres lat­i­tudes. La prise de con­science de cette con­nex­ion est entrain de s’opérer, en même temps que la recon­nais­sance d’un ter­ror­isme red­outable. Celui-​ci sur­prend mais qui pour­rait sérieuse­ment réfuter que les opéra­tions militaro-​policières menées par nos «chefs de guerre» et en notre nom risquaient un jour ou l’autre de faire boomerang et nous éclabousser en pleine figure ?!

Nous avons cru trop longtemps que la paix était due à nos valeurs, à l’édification de nos beaux principes, à la beauté de nos espaces naturels estampil­lés Natura 2000, à nos ter­rains de golf, à la pro­preté de nos maisonnettes…pour ne pas avoir à se préoc­cu­per ou s’émouvoir des miradors, des bar­belés, de Fron­tex et de l’EU Nav­for Med. Cer­tains d’entre eux ont mimé ou singé la paix sous toutes ses cou­tures. Les porte-​parole de l’OTAN, passés maîtres dans l’art de la novlangue chère à George Orwell, ont vanté leur insti­tu­tion en tant qu’’organisation paci­fiste ’. L’illusion et la mau­vaise foi ont fait le reste. ‘Notre mai­son brûle et nous regar­dons ailleurs’ déclara Chirac à Johan­nes­burg en 2002. Les com­men­ta­teurs ont appré­cié, les mil­i­tants ont applaudi le style. Mais enfin …, si la mai­son brûle, Mon­sieur Chirac, c’est parce que des incen­di­aires bien iden­ti­fiés ont mis une par­tie de la planète à feu et à sang. Pourquoi ne l’a-t-on pas dit ? Le diag­nos­tic s’impose : la majorité d’entre nous ont refoulé tout ce qui relève de la polé­molo­gie. Aujourd’hui encore, 25 ans après le début des guer­res en Yougoslavie, la majorité des ONG, qui s’auto-proclament la ‘société civile ’, y com­pris celles qui se mobilisent pour le développe­ment, y com­pris les alter­mon­di­al­istes de la belle-​époque post-​Porto-​Alegre, y com­pris les asso­ci­a­tions envi­ron­nemen­tales qui zap­pent le fait que la pro­tec­tion de la planète passe par la capac­ité à paci­fier les rap­ports entre les humains et la Terre, y com­pris les ONG éco­los qui scan­dent des slo­gans apoc­a­lyp­tiques sur le cli­mat …, toutes à des degrés divers ont évacué la thé­ma­tique de la guerre et de la mil­i­tari­sa­tion dans leurs réflex­ions et dans leurs débats. Il serait donc temps de tra­vailler sur notre refoulé et remet­tre les pen­d­ules à l’heure.
Pour remédier à cette dérive, la for­mule de (Gas­ton) Bouthoul Si tu veux la paix, con­nais la guerre’, est à décliner sous toutes ses facettes. Il ne sera pas inutile non plus de méditer la phrase de Cas­to­ri­adis : ‘Une société mod­erne mon­tre son degré de civil­i­sa­tion à sa capac­ité à se fixer des lim­ites ’. Je ne peux pas m’étendre ici, ni dévelop­per. Il y aurait beau­coup à dire et s’interroger … sur la notion de lim­ite. Jusqu’à quel point celle-​ci per­me­t­trait d’enrichir le paci­fisme à par­tir de cette con­science que cer­tains écol­o­gistes ont inté­gré ? Les lim­ites aux­quelles je fais allu­sion sont et seront l’une des recettes pour éviter la casse, lim­iter les dégâts. Il s’agit à mon avis de penser com­ment pénaliser les entre­prises de l’armement pour leur con­tri­bu­tion au réchauf­fe­ment cli­ma­tique, taxer les trafics d’armes pour qu’une réaf­fec­ta­tion des dépenses mil­i­taires (expo­nen­tielles ou presque) favorise la sécu­rité de tous dont la sécu­rité sociale ; définir des seuils dans le domaine de l’exportation de la vio­lence. Recon­sid­érer la répar­ti­tion inter­na­tionale de la men­ace de mort qui est aussi déli­rante que la répar­ti­tion des richesses. De façon plus glob­ale, définir un pro­gramme pour la décrois­sance dans le domaine de la mil­i­tari­sa­tion, à un moment clef de notre His­toire où le pire n’est pas exclu.

Ben Cramer, Mons, août 2015 (réactualisé)

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