Covid-19, sciences sociales et Intelligence de Soi

Par Pierre CAUVIN
Docteur en sciences sociales, diplomé de Sciences politiques et de la Vanderbilt Graduate School of Management

Mon propos ici n’est absolument pas médical. Vous ne trouverez aucun argument pour ou contre le vaccin. Mais il se dit beaucoup de choses par rapport auxquelles il me paraît bon de prendre du recul, en s’appuyant tant sur la raison que sur des principes classiques de sciences sociales et sur l’Intelligence de Soi.

En bonne application de l’Intelligence de Soi, lorsque deux camps sont en présence, il convient de chercher comment les intégrer. Ce qui passe d’abord par l’écoute. Force est de constater que provax et antivax pratiquent le dialogue de sourds. Il n’y a en fait pas de dialogue du tout. Il ne me semble pas qu’il y ait eu des débats organisés – ni à la radio ni à la télé – en tout cas pas pour permettre à chaque parti de s’exprimer sereinement. J’ai lu depuis un an avec beaucoup de soins la littérature en provenance des deux “camps”. Le moins que l’on puisse dire est que chacun est convaincu de son bon droit.

L’argument massue avancé par chaque camp, en particulier celui des provax, est “La science dit que“. Mais qu’est-ce que la science ? Ce n’est pas un corps de savoir établi de façon définitive. La science, c’est ce que disent les “scientifiques”, lesquels se contredisent volontiers. Et heureusement !

Marisol Touraine aurait paraît-il dit : “La vaccination, ça ne se discute pas“. Si ça ne se discute pas, nous quittons le domaine de la science pour celui de la foi – ce qui n’est évidemment pas la même chose. Karl Popper a montré que la réfutabilité était le moyen de poser les limites d’une théorie. Sans réfutabilité, il n’y a pas science mais religion.

Alors qu’est-ce que la “Science” avec une majuscule, sinon ce qui est communément admis par la majorité des scientifiques ? Seulement, la vérité ne se décrète pas démocratiquement. L’universalité d’un consensus n’est en rien une preuve de vérité : “Et pourtant, elle tourne” dit Galilée. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’une idée largement partagée est toujours fausse, ni a contrario que l’opinion marginale est forcément juste.

S’ensuit quasi inéluctablement la dévalorisation de l’autre, de façon directe ou indirecte. Au cours d’un débat entendu sur France Inter, une philosophe déclare (je cite de mémoire) : “Pour comprendre ce qui se passe pour les antivax, il faut avoir recours à Freud qui a bien montré que la paranoïa consistait à projeter ses peurs sur un objet extérieur (en l’occurrence, le vaccin)“. J’aurais juste aimé qu’en contrepartie de cette projection négative, elle énonce la projection positive que font les provax sur le vaccin, comme seul espoir de salut. Diabolisation et divinisation, même combat.

Il est au demeurant frappant de constater que le débat se réduit souvent à “pour ou contre le vaccin“. Sans entrer dans le débat de fond, constatons que les traitements renforçant l’immunité avant la maladie ou ceux soignant la maladie lorsqu’elle se déclare ont largement été ignorés – à part la querelle médiatique autour de l’hydroxychloroquine et du professeur Raoult. Or un principe de base de la créativité est de multiplier les modes de résolution d’un problème – sans se limiter à une solution.

Car la solution unique entraine l’application des principes si bien énoncés par Watzlawick : “Si le remède ne marche pas, doublez la dose” ou “si vous voulez réussir à échouer, faites de plus en plus de la même chose“. Pourquoi cette surenchère dont sont victimes les deux camps, les provax surtout puisqu’ils sont omniprésents dans le discours public ? Deux raisons, entre sans doute beaucoup d’autres.

De nombreuses expériences de psychologie sociale ont montré que chaque individu a tendance à se conformer à ce qui lui paraît être la norme du groupe. Être seul de son avis – ou se croire seul – entraine un stress dont on peut s’échapper en rejoignant la norme.

Un deuxième facteur est proche de ce que l’économiste James Duesenberry a appelé l’effet de démonstration, à savoir le désir de consommer au moins autant que la catégorie sociale supérieure. En l’occurrence, il semble que chaque homme politique veuille en “rajouter” par rapport aux autres pour montrer son sérieux. Ce principe en politique ne s’applique d’ailleurs pas qu’à la santé ; la surenchère sur les politiques sécuritaires en est un autre exemple.

Une dernière réflexion, suscitée par une remarque du Pr Philippe Juvin qui regrettait que les campagnes provax se soient trop concentrées sur l’émotionnel – il citait le clip de la grand-mère qui pourra embrasser ses enfants. Il est clair que l’émotion l’emporte largement. Les “valeurs” sont mises en avant, en oubliant que la même valeur peut conduire à des comportements différents selon les informations sur lesquelles on se base pour les appliquer. La solidarité collective est interprétée différemment si vous estimez que le vaccin est la protection nécessaire ou le meilleur moyen de multiplier les variants.

Pour retourner sur le territoire typologique il est important d’allier les faits (S) et la théorie (N), les valeurs (F) et la rationnalité (T). À chacun de se situer, à partir d’un Moi Conscient bien informé.

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A propos de l’auteur : Pierre Cauvin est aujourd’hui consultant en management, après une expérience de 25 ans dans la vente, les services et l’industrie. Il est également membre accrédité de plusieurs organisations internationales de consultants. Ils est auteur du livre “Deviens qui tu es” publié aux éditions le Souffle d’Or.

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