La Théorie U, un méta modèle pour créer des accompagnements

Théorie U, renouveler le leadership (La)La Théorie U, un méta modèle pour créer des accompagnements

Tout a commencé en 2010. J’étais en transition professionnelle et j’ai rejoint un programme de retour à l’emploi piloté par l’association Team Academy Strasbourg. Cela faisait 15 ans que je faisais de la traduction et je ne voulais plus en faire.

Alors le jour où Pascal Bastien est venu me voir avec ce gros pavé en américain, j’ai eu comme un brin de nausée… Et le livre a trôné sur mon bureau pendant quelques mois. Un jour Pascal, qui avait quand même compris de quoi il retournait dans ce livre, décide d’animer un processus de dialogue selon le processus en U d’Otto Scharmer. J’ai été littéralement fascinée, puis conquise par le processus, mes découvertes sur moi-même, les autres, l’écosystème et par les perspectives ouvertes. Il m’a fallu quelques années pour comprendre les raisons de cet étonnement et je m’en vais les exposer dans cet article. Il va sans dire que je n’ai eu de cesse de pouvoir traduire, et faire publier, ce livre en langue française.

A l’occasion de la réédition de ce livre en partenariat avec Yves Michel Editeur, ce printemps 2016, j’ai éprouvé le besoin de faire le point sur la Théorie U et sur ce qu’elle m’a apporté depuis ce jour de 2010 où j’en suis devenue une fervente utilisatrice.

Avant tout un chemin de changement

D’abord cher lecteur, si tu crois que le monde doit changer pour que, toi, tu ailles mieux, passe ton chemin ! Le processus en U est avant tout un chemin de changement intérieur. Il considère que tout changement vrai commence à l’intérieur des personnes. Dans ces moments où nous pénétrons dans notre zone d’inconfort, quoi de mieux qu’un processus solide ? Les facilitateurs le savent bien. Lorsque l’on ne sait pas où l’on va, il est important de savoir de quelle manière on y va… Et avoir la foi envers le processus !

Le processus en U peut donc être vu comme un méta-modèle qui nous propose de (re)visiter nos outils, de les agencer, d’en observer l’efficacité… Avec toujours un objectif : passer à l’action à partir du futur émergent.

Alors comment utiliser le processus en U pour construire une facilitation ou un accompagnement ? Adam Kahane en parle fort bien dans ses ouvrages Pouvoir et Amour et Les scénarios pour la transformation, dans lesquels il montre comment il utilise le U pour créer les différentes étapes de son accompagnement. Quant à moi, j’ai découvert que le processus en U était chez moi une seconde nature, dans cette manière qu’il a de nous emmener au fond des choses pour nous reconnecter à la source. J’admets que dans la vie quotidienne, cela doit en agacer certains (ce n’est pas toujours le moment d’aller au fond des choses…), mais que voulez-vous, c’est mon mode de fonctionnement. A l’époque de la découverte de la théorie U, j’avais donc été fascinée par mon propre mode opératoire ! Voilà mon secret : je conçois mes accompagnements selon un U. Découvrons les étapes de ce processus :

1. Cesser de reproduire les schémas du passé (sinon passer son chemin)

C’est le temps de l’inclusion, de la prise de contact avec le groupe, le moment où, pour prendre part à la suite, il conviendra de déposer ses valises, un peu comme on ôte ses chaussures avant d’entrer dans un temple sacré. Les outils peuvent être de plusieurs ordres :

  • corporels, pour harmoniser le corps collectif, lâcher les tensions et apporter une autre qualité à la respiration
  • de tours de parole (tour de météo, dire avec quoi je viens, pré-motorola)
  • cognitifs : le facilitateur pourra apporter les règles de fonctionnement du groupe, les prérequis du dialogue, des apports théoriques sur les niveaux d’écoute…

2. Observer, observer, observer

Comme son nom l’indique, cette étape va consister à porter un regard sur la problématique commune. Pour le groupe (il n’y a pas de limite à la taille des groupes pouvant être accompagnés avec la Théorie U), il s’agit de mettre en œuvre un socle partagé de connaissances sur la problématique, d’un échange autour du sujet traité… Les outils souvent utilisés :

  • vidéos, conférences
  • la création de petits groupes de travail sur des sous-thématiques et le partage en grand groupe
  • la présentation d’un cas par un apporteur et l’écoute active par le groupe, suivi de questions de clarification

Au-delà du partage de connaissances, l’intention est de commencer à partager la confiance en ouvrant son esprit (ce qui fait de cette étape un espace essentiellement consacré aux outils cognitifs). On verra à quel point c’est important pour la suite.

3. Percevoir

On arrive dans l’espace du cœur. La compréhension intellectuelle est partagée, il s’agit maintenant de « descendre » au niveau des ressentis et de partager « ce qui vient de l’intérieur », en quoi cela nous parle, ce que ça éveille en nous (images, métaphores, souvenirs…). Les outils vont être :

  • Le photolangage
  • Le dessin
  • Les jeux, les cartes
  • La marche dialoguée

On l’aura compris, il s’agit ici d’ouvrir son cœur à la problématique. D’accueillir les ressentis comme ayant autant de choses à nous apprendre que les éléments cognitifs. C’est le début du lâcher prise.

4. Lâcher prise

Est-ce vraiment une étape ? Oui dans la mesure où, si elle n’a pas lieu, cela va compromettre la suite… Définir le lâcher prise est par ailleurs une entreprise délicate. Ni renoncement ni abandon, le lâcher prise pourra le plus souvent être proposé sous forme de :

  • moment de silence et d’intériorisation
  • détente corporelle
  • promenade en solo dans la nature

Avec pour intention de reporter le moment de « se remettre à réfléchir » et/ou de partir à la recherche de solutions.

5. Se connecter à la source

Quel est le sens de mon (notre) action ? Qu’est-ce que la vie m’appelle à faire maintenant ? C’est par un questionnement d’ordre existentiel que cette étape va pouvoir opérer le basculement nécessaire et la remontée vers la branche droite du U. Otto Scharmer propose ici, entre autres :

  • Le journaling
  • Le social presencing theater
  • Une bonne nuit de sommeil !

C’est le moment de la profondeur, celui qui éveille nos peurs. Pourquoi ? Parce qu’il touche à notre volonté. Comment utilisons-nous notre volonté dans la situation actuelle ? Que faisons-nous pour l’orienter vers notre meilleur futur ? Ces questions, si elles prennent en nous une forme de jugement, de reproche, de culpabilisation, vont nous paralyser. L’accompagnement de cette étape est donc éminemment délicat car il vise à faire émerger le sens et la structure du futur en émergence. C’est le moment précis où le passé et le futur se rencontrent dans le présent, apportant des informations précieuses pour qui saura les décoder.

6. Laisser venir

Encore le silence… Ne pas se précipiter sur nos « trouvailles », nos intuitions, nos élans encore fragiles. Savourer les prémisses d’un meilleur futur pour nous, pour notre cause… Se délecter de l’imminence de quelque chose de nouveau, comme l’instant qui précède une naissance. Donner du temps à nos émotions, nos sentiments, pour s’ajuster de l’intérieur à une situation nouvelle, non encore « documentée ».

7. Cristalliser

C’est le moment de capter les mots (mon préféré). Le moment où l’on met le dedans dehors, où le diamant émerge de la pierre brute. Notre meilleur futur est enfin là, en germe, et l’enthousiasme en est le signe. Comment capter cet instant précieux ?

  • Faire une première récolte des mots de chacun
  • L’agencer sous forme de carte mentale
  • Esquisser des diagrammes de flux, des modèles, des processus…
  • Par petits groupes, réaliser un dessin collectif représentant le mieux ce diamant

8. Prototyper

Il s’agit ici de donner sa première forme à l’objet créé, ses premiers habits au bébé. Le mot d’ordre est : faire petit, modeste, élaborer un MVP (minimum viable product) comme on dit en langage lean startup, sans autre ambition que de le tester. Il se peut que nous n’ayons pas encore émergé avec notre meilleur futur. Alors notre objet court le risque de ne pas « rencontrer son marché ». Il nous faudra recommencer et recommencer, peut-être ne sommes-nous pas allés assez profond ?

Pour cela, on pourra créer :

  • Un simple manifeste avec une infographie donnant le sens de notre action, la vision, quelques mots sur le quoi, le comment…Et un plan d’action pour le tester, recueillir les retours de notre entourage.
  • un objet-métaphore, à l’aide de pâte à modeler, lego, ficelles, …, de notre embryon de projet.

Il ne s’agit surtout pas de remporter l’adhésion, mais de tester, en toute humilité, et d’apprendre !

9. Déployer

Cette étape est à la fois une fin et un commencement. Il serait trop bête, maintenant qu’un nouveau futur s’offre à nous, de lui plaquer nos schémas, nos systèmes, de le minéraliser… Autant dire que le début du prochain U n’est pas loin ! Car il nous faudra affiner, faire grandir, expérimenter, retravailler en permanence au niveau de l’esprit, du cœur et de la volonté, pour passer du prototype version 1 à la version 2, et ainsi de suite, par itérations successives, afin d’évoluer, de changer de concert avec le changement et de se défaire, toujours plus, de nos jugements, de notre cynisme et de nos peurs pour laisser venir à nous de nouveaux futurs, se sentir chaque fois un peu plus proches du bonheur.

Conclusion

Si tu es encore avec moi, lecteur, c’est que tu n’as pas passé ton chemin. Te voilà « initié » au processus en U ! Peut-être es-tu en train de penser qu’il n’y a pas de quoi fouetter un chat, que c’est là le fonctionnement naturel de tout être en évolution. Tu as raison. La possibilité du changement est inscrite en nous, mais elle a ses lois. Les suivre nous facilite la tâche. Essaie.

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