Le Conseil constitutionnel : démocratique ?…
Le Conseil constitutionnel est-il démocratique ?
Point de vue d’Etienne Maillet, Extrait de Tirage au sort et imparfaites démocraties
« Parmi les corps de contrôle, le Conseil constitutionnel occupe une position exceptionnelle. Ici encore, sa composition procède de la volonté de grands élus jugeant de la compétence, à leur yeux, des uns ou des autres. Il ne faudrait aucune compétence particulière pour devenir législateur, aucune pour juger aux assises : pourquoi alors en faudrait-il une pour décider de la constitutionnalité des lois ? En décrétant le contraire, notre constitution subordonne le peuple au juriste constitutionnel. Mais d’où alors ce dernier dérive-t-il son droit ? De qui la constitution procède-t-elle, sinon du peuple ? Voilà inversé les rôles : le serviteur se fait maître. Ce vice circulaire mine notre loi fondamentale jusqu’à la vider de son sens.
Pire, depuis quelques années, le dispositif des questions prioritaires de constitutionnalité permet au Conseil constitutionnel de censurer le parlement, de dire finalement la loi en lieu et place de la représentation populaire. Il s’érige ainsi en souverain privé de la souveraineté publique. L’évolution du rôle du Conseil constitutionnel pousse à leur pleine maturité les germes introduits sans prudence par les peu inspirés rédacteurs de la constitution de 1958. Il est significatif qu’elle ait été rédigée par un seul homme – Michel Debré, assisté d’une poignée de constitutionnalistes – plutôt que par une Constituante, telle celle qui se réunit de 1789 à 1791.
Quelle était intention de De Gaulle en mettant au lutrin une nouvelle loi fondamentale ? La démarche qu’il entreprit auprès du comte de Paris, descendant des Bourbon, l’éclaire : il s’agissait rien moins que de restituer un monarque sur le trône de France. Telle était bien l’intention de la constitution de 1958 : réintroduire la monarchie sous les atouts de la démocratie. Un seul homme, une élite, plus intelligentes que tout un peuple ?
Dans n’importe quel projet, on voit les avantages, on minimise les failles. Elles ne se dévoilent que dans le recul de l’histoire. Aussi fallut-il sept décennies pour que se révèle au jour le conflit d’autorité potentiellement explosif que notre constitution instaure entre deux pôles de légitimité imprudemment instaurés : le président de la République, universellement élu, d’une part, et d’autre part un Conseil constitutionnel non-élu mais gardien indéfectible de la loi fondamentale. Point commun aux deux institutions : aucune ne peut se prévaloir d’une légitimité incontestable, dont seul jouit le peuple, pour autant dépourvu d’aucun moyen régalien.
Quelle nécessité au fond y-a-t-il d’un contrôle constitutionnel ? Une fois une constitution établie, pourquoi devrait-elle, sous le regard sévère d’un censeur, s’incruster, s’ossifier, s’immobiliser ? Un tel censeur est intrinsèquement conservateur, son rôle étant de veiller aux canons de la loi. Le contrôle de constitutionnalité s’affirme ainsi comme moyen de rendre inébranlables des dispositions que les rédacteurs de la constitution jugent unilatéralement favorables à la Nation, c’est à dire – tant sont monochromes les élites – les intérêts de leur classe. Dans un tel contexte, une constitution rigide ne peut que progressivement s’écarter du sentiment populaire, laissant dans l’ombre bien des maux qui assaillent la masse, générant beaucoup de douleur plébéienne, au risque de susciter périodiquement des conflagrations sociales. N’était-il pas implicite dès 1958 que le Conseil constitutionnel finirait un jour ou l’autre de se rendre coupable de forfaiture ? De la même manière que le Parlement a invalidé le résultat du référendum de 2005, le Conseil a avalisé en 1995, en pleine connaissance de leur caractère frauduleux, les comptes de campagne de Jacques Chirac et Edouard Balladur, permettant au premier de devenir président. Un crime gravissime contre la démocratie présente et à venir a été commis là qui pour l’immensité de ses conséquences devrait recevoir une sanction incomparablement sévère.
Dangereux et sans validité démocratique, le Conseil constitutionnel doit disparaître. Son existence est une injure à la démocratie. Il en détruit le fondement. Il postule qu’existe naturellement au-dessus de la souveraineté populaire quelque pater familias, maître, führer, timonier, patricien, imperator, préservant le peuple de ses propres errements. On retrouve là, incrusté dans les tables de la loi, l’habituel et méprisant préjugé aristocratique pour la plèbe. Pire, l’existence du Conseil constitutionnel recèle en gésine la possibilité d’un conflit avec le parlement, si ce dernier contestait le droit de censure du Conseil. Or ce parlement reste censé représenter le peuple : on verrait alors se développer cette étrange situation où le censeur constitutionnel dicterait la loi au législateur délégué par le peuple !”
Extrait de Tirage au sort et imparfaites démocraties aux Editions Yves Michel par Etienne Maillet. Texte écrit en 2021 avec quelques corrections et précisions marginales.
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