Les poules préfèrent les cages, par Armand Farrachi

Voici la 3e édition d’un livre que j’aime beaucoup : Les Poules préfèrent les Cages, par Armand Farrachi…

J’en avais publié la 2e, et cette 3e est republiée par les éditions LIBRE.

Je me sens tout à fait en phase avec son propos : découvrez sa postface. YM

Post Scriptum à la troisième édition : Tant qu’il y aura des cages…

Aujourd’hui, en 2022, dix ans après l’entrée en vigueur de la nouvelle législation, (au demeurant de portée dérisoire), concernant les poules en cage, on pouvait espérer que le sort des captives se serait au moins un peu amélioré, ne serait-ce que de quelques cm2 au sol. Mais en France, on le sait, le plus difficile n’est pas de voter une loi mais de la faire appliquer. C’est pourquoi, en général, ce qui est interdit reste autorisé. L’interdiction des cages pourrait être repoussée à 2027. Ainsi, pour s’en tenir aux poules pondeuses -ou aux poulets « de chair »-, et renseignements pris, j’apprends par exemple que, dans tel élevage de la Sarthe au nom patriotique, (« Le Gaulois »), on compte 22 oiseaux au m2, sans aucun accès à l’extérieur, ni lumière naturelle, ni air libre, qu’on relève boiteries, maladies, problèmes musculo-squelettiques, arrêts cardiaques, fractures, que les cadavres se décomposent sur place, etc. Si la cellule de gendarmerie Demeter mise place par l’Etat à la demande de la FNSEA intervient, ce ne sera pas contre l’éleveur délinquant, victime, le pauvre, d‘« agribashing », mais contre l’association L214 qui a le front de diffuser cette information.

Envisage-t-on au moins une prompte mise aux normes ? Non. Ce seul établissement projette d’augmenter le nombre de ses victimes pour en envoyer 550.000 de plus à l‘abattoir chaque année, et dans des conditions certainement somptueuses. A-t-on affaire à une brebis galeuse ? Non puisque 36% de nos volailles restent élevées dans des systèmes « intensifs », c’est-à-dire des camps de concentration pour animaux (par rapport, malgré tout,  à 80% en 2003). S’agit-il d’une difficulté d’adaptation, d’une infraction, d’un choix particulier ? Non. Les éleveurs, l’Etat, l’INRA, tous gardent pour objectif primordial ni la connaissance scientifique ni les progrès de l’éthique, mais la « performance »  économique. Selon une étude menée par l’INRA lui-même entre 1991 et 2015, plus de 40% de ses études présentent un conflit d’intérêts et orientent leurs conclusions dans un sens favorable à l’industrie.

Que ne dirait-on encore, sans la crainte de lasser, des lapins, des porcs, des poissons, des taureaux, de tous les animaux, même sauvages, dont la torture est subventionnée et dont les défenseurs sont criminalisés ! Tandis qu’un tueur de loups ou d’ours, animaux protégés par des règlements internationaux, est, au pire, puni d’1€ « symbolique » de dommages et intérêts, l’association Alerte aux toxiques, qui dénonce l’usage des pesticides dans les vignobles bordelais, se trouve, elle, condamnée à 125.000€ d’amende, et L214 se voit encore infliger une amende de 5000€  avec interdiction de diffuser des images d’élevages concentrationnaires puisqu’elles enfreignent « le droit de propriété ». On comprend où sont les priorités.

La principale pression sur les industriels n’aura donc pas été exercée par la loi mais par les consommateurs, toujours plus nombreux à refuser les œufs de batterie, du moins en Europe. La société « Eurobird », comme elle s’appelle, qui fournit des cages d’occasion, s’occupe déjà d’en racheter pour les revendre au Soudan ou au Pakistan. Malheureusement pour les volailles, et même en Frace, les œufs ne sont pas tout. Ainsi, dans ce domaine comme à peu près tous les autres, non seulement rien ne s’améliore ni ne se stabilise mais tout se dégrade encore, grâce à des dirigeants successifs qui agissent en véritables ennemis de la Terre et du vivant, et qui se maintiennent au pouvoir avec les suffrages d’une population manipulée, inconsciente, indifférente ou complice. C’est bien ce qu’il n’y avait aucun mérite à prophétiser ici même, quelques pages plus haut, voici dix ans, hélas ! Le traitement des épizooties, confirme que « la solution finale », l’extermination, reste le traitement favori des responsables, comme on le voit avec la vache folle, la grippe aviaire et les volailles du Sud-Ouest ou la brucellose et les bouquetins du Bargy. Le tableau est complet. S’il ne fallait qu’un signe, un seul, pour montrer à quel point, depuis 10.000 ans, l’homme a perverti sa vie sur Terre, sa relation avec les autres animaux y suffirait.

Compte tenu des progrès spectaculaires accomplis dans le domaine du « bien-être animal », on ne pouvait s’attendre à voir s’améliorer le « bien-être humain » et la dictature technologique s’effondrer comme un château de cartes. En dix ans, c’est au contraire une véritable forteresse numérique qui s’est élevée contre les libertés individuelles. L’informatique ayant pris le relais du technique, un filet cybernétique s’est abattu sur chaque citoyen. Comme l’avait vu Habermas dès 1968, la plupart des découvertes techniques visent « au contrôle, à la surveillance et à la direction des individus comme des organisations ». Or, une « avancée technologique » ne cédant jamais qu’à la plus grande efficacité de la suivante, qu’est-il permis d’espérer ? Se passer des moyens de communication obligatoires reviendrait à se trouver de facto exclu de la société « moderne », ce qui, il est vrai, ne serait pas une bien grande perte.

Il semble que la peine médiévale du bannissement soit désormais remplacée par celle de la déconnexion, directement associée au manque de lien social ou affectif, caricaturée par l’addiction au téléphone mobile. Sans cette prothèse, chacun se sent promis au sort de Robinson Crusoé, naufragé en lui-même comme sur une île déserte. L’ambition du pouvoir, qui préfère le silence numérique au fracas de la mitraille, consiste moins à nouer des liens entre les citoyens qu’à les désintégrer : disperser les classes, les groupes, les « rassemblements de plus de six personnes », les familles, séparer les couples, les amis, les cercles, vider les loges des concierges, les guichets du métro ou des postes, les cabinets de médecins et même les épiceries, imposer le « distanciel », le « sans contact », la « distanciation sociale », le « télé-ceci ou la visio-cela », les « boîtes vocales », les « caisses automatiques »,  le « E commerce », « dématérialiser » le monde, dissoudre toute solidarité, toute relation non technique pour multiplier les individus, et les « connecter » dans un immense réseau de solitaires et d’îles désertes.

En profitant de « crises » terroriste, sanitaire,  écologique, financière, migratoire, climatique, sécuritaire ou autre, des sénateurs « délégués à la prospective » proposent justement d’accélérer le fichage numérique et de croiser tous les fichiers individuels : “Plus la menace sera grande, plus les sociétés seront prêtes à accepter des technologies intrusives, et des restrictions plus fortes à leurs libertés individuelles – et c’est logique. » Foin des critiques : « Si une « dictature » sauve des vies pendant qu’une « démocratie » pleure ses morts, la bonne attitude n’est pas de se réfugier dans des positions de principe. » Conclusion : « Le présent rapport propose donc de recourir bien plus fortement aux outils numériques dans le cadre de la gestion des crises sanitaires ou comparables (catastrophe naturelle, industrielle), notamment en vue de contrôler au niveau individuel le respect des mesures imposées par la situation, et y compris si cela implique d’exploiter des données de manière intrusive et dérogatoire. ». Nous voilà bien dans la perspective d’un contrôle social, c’est-à-dire d’une dictature technologique déjà expérimentée avec succès en Chine, où chaque individu jugé déviant sera dénoncé à l’Etat comme à ses concitoyens par ce qu’on appelle encore un téléphone et qui est surtout devenu un mouchard, comme une clef laissée sur la porte de chez soi. Dépossédés de tout contrôle, écartés de toute décision, sommés d’obéir ou d’être exclus, confinés, « distancés », les citoyens paieront donc au prix fort toute perte de réalité directe. L’illusion que nous sommes tous en contact, au-delà des frontières, des langues et des cultures, enferme chaque individu dans un univers coupé du réel, produit ou manipulé par les multinationales de l’informatique en réseau. Le concept tant vanté de « transparence » n’annule d’autre secret que celui de la vie privée. La « zone blanche », sans « couverture mobile », voilà le cauchemar. La nature, voilà l’ennemi. Un lien très étroit se resserre entre l’augmentation de la pression sur la nature et la surveillance de masse, le réchauffement du climat et « la perte de biodiversité », c’est-à-dire l’extinction des espèces, y compris, à terme, l’espèce humaine. Il faut le répéter : la destruction de la nature n’est pas un « dégât collatéral » du progrès en marche. C’est un objectif de la guerre mondiale contre la nature : c’est par elle qu’on réduit les libertés et qu’on renforce les surveillances. Un pouvoir absolu ne s’établit que sur une terre dévastée.

Pessimisme ? Certes. Mais que voudrait-on dire avec ce mot ?  Que le pire est d’avance accepté ? Bernanos tenait l’optimisme de principe pour « la fausse espérance » des lâches. « La plus haute forme de l’espérance, écrivait-il, c’est le désespoir surmonté ».  Au-delà des idéologies, Walter Benjamin, un des rares marxistes, à ma connaissance, à intégrer la destruction de la nature comme un phénomène majeur et à remettre en cause la notion de progrès, écrivait dans Le Livre des passages : « Il faut fonder le concept de progrès sur l’idée de la catastrophe. Que les choses suivent leur cours, voilà la catastrophe. » Morale de désespéré ou « pessimisme révolutionnaire », c’est-à-dire capacité de mobiliser sans mirage de lendemains qui chantent ? Que plus personne ne puisse un jour soutenir que les poules préfèrent les cages et les humains le virtuel, ce serait déjà une victoire, modeste, il est vrai, mais décisive. Car, il faut aussi le répéter, ce qu’on fait aux animaux on le fera aux humains, et tant qu’il y aura des cages pour les animaux, il y en aura pour les humains.

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