Autoroutes: les dessous des relations entre l’Etat et les concessionnaires

Autoroutes, Etat français, DSP : des relations douteuses et au détriment des citoyens qui le paient très cher…

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Services publics délégués au privé : à qui profite le deal ?

Date : Mon, 14 Jan 2019
Autoroutes: les dessous des relations entre l’Etat et les concessionnaires

13 JANVIER 2019  <https://www.mediapart.fr/biographie/martine-orange>

En pleine révolte des « gilets jaunes », la ministre des transports s’active pour déminer la bombe des nouvelles hausses de tarifs des autoroutes au 1er février.

Mediapart révèle l’intégralité de l’accord de 2015 signé par Emmanuel Macron, alors à Bercy, et Ségolène Royal, ministre de l’écologie, avec les sociétés concessionnaires des autoroutes. Une capitulation volontaire de l’État abandonnant tout intérêt public.

C’est la privatisation qui ne passe pas.

Et plus le temps s’écoule, plus l’indignation de l’opinion publique grandit : jamais l’État n’aurait dû privatiser les autoroutes, selon une grande majorité des citoyens. Avec le mouvement des « gilets jaunes », le dossier est devenu hautement explosif. Depuis le début du mouvement, les péages des autoroutes sont la cible régulière des manifestants. Dans de nombreux cahiers de doléances, le retour au contrôle public de l’État ou, en tout cas, le reversement aux finances publiques de l’essentiel des recettes apportées par les autoroutes figurent parmi les premières mesures demandées.
Au même moment, les sociétés concessionnaires autoroutières (SCA) doivent annoncer, comme chaque année, de nouvelles hausses des péages le 1er février. Alors le gouvernement tente de déminer le sujet. Depuis la fin de l’année 2018, la ministre des transports, Élisabeth Borne, s’active. Les réunions se succèdent au ministère avec les concessionnaires autoroutiers – notamment Vinci (Cofiroute, ASF, Escota), Eiffage (Area, APRR) et Abertis (Sanef, SAPN) –, officiellement pour accompagner les hausses tarifaires prévues – de 1,9 % en moyenne, après 1,5 % en 2018.
Une nouvelle réunion doit avoir lieu lundi 14 janvier, au cours de laquelle les SCA devraient faire des propositions « pour améliorer le pouvoir d’achat des Français ». « Je les vois lundi et nous pourrons examiner les propositions ensemble. Je n’ai pas de doute qu’elles sont conscientes des attentes des Français », a expliqué Élisabeth Borne vendredi au micro d’Europe 1

<https://premium.lefigaro.fr/flash-eco/2019/01/11/97002-20190111FILWWW00057-autoroutes-des-propositions-sur-les-tarifs-lundi-1401.php> .

Pour la ministre des transports, il ne peut s’agir que de mesures d’accompagnement, de gestes consentis par les sociétés autoroutières. Il est impossible de remettre en cause les hausses prévues. « Les contrats sont très bien faits, très précis », a justifié la ministre des transports à la fin de l’année, comme si elle venait de les découvrir.

Ségolène Royal, alors ministre de l’écologie, et Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie en 2016. © Reuters

La ministre connaît bien pourtant le dossier. Elle sait que l’État est pieds et poings liés face aux sociétés d’autoroutes : elle a assisté en personne à leur élaboration. « La renégociation des contrats entre l’État et les sociétés d’autoroutes en 2015 s’est faite sous l’égide d’Alexis Kohler et d’Élisabeth Borne [respectivement directeur de cabinet d’Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, et directrice de cabinet de Ségolène Royal, alors ministre de l’environnement – ndlr] », rappelle un témoin de l’époque.
Sous leur direction, un protocole d’accord a été conclu avec les sept sociétés concessionnaires autoroutières historiques – filiales de Vinci, Eiffage ou Abertis, celles-ci exploitent l’essentiel du réseau autoroutier et surtout les parties les plus anciennes, donc totalement amorties. L’accord porte sur l’évolution des tarifs, les extensions de durée des concessions – allant de deux à cinq ans –, en contrepartie de 3,2 milliards d’euros de travaux supplémentaires sur dix ans. Il a été signé en avril 2015 par Emmanuel Macron, Ségolène Royal, Pierre Coppey, président des concessions autoroutières détenues par Vinci, Philippe Nourry, directeur général représentant les sociétés détenues par Eiffage, Lluis Deulofeu, représentant du groupe espagnol Abertis, et Alain Minc, PDG de la Sanef.
Cet accord est jusqu’alors resté secret. En dépit des demandes déposées par Raymond Avrillier, ancien élu écologiste de Grenoble, et du jugement du tribunal d’administratif imposant au ministère des finances et en particulier à Emmanuel Macron de le lui communiquer <https://www.mediapart.fr/journal/economie/220716/autoroutes-le-tribunal-administratif-rappelle-macron-l-ordre> , l’État s’est refusé à le rendre public. L’affaire est désormais dans les mains du Conseil d’État <https://www.mediapart.fr/journal/economie/180916/autoroutes-bercy-se-bat-pour-eviter-toute-transparence> . En décembre, deux ans après avoir été saisi, les magistrats du Conseil d’État ont demandé communication de cet accord afin d’en prendre connaissance et d’examiner s’il était ou non communicable.
En septembre 2017, un journaliste de France 2 a révélé des extraits de cet accord secret <https://blog.francetvinfo.fr/oeil-20h/2017/09/11/laccord-secret-entre-letat-et-les-societes-dautoroutes.html> . Il y annonçait notamment les hausses tarifaires jusqu’en 2023. Mediapart a eu accès à la totalité de cet accord secret (voir ci-dessous).

À la lecture de ce document de 20 pages, on comprend mieux la résistance de l’État à le rendre public : « C’est une capitulation complète de l’État face aux SCA. L’État s’est volontairement lié les mains et se retrouve en situation de ne rien pouvoir imposer aux concessionnaires autoroutiers », résume un connaisseur du dossier.

L’État accepte de compenser intégralement le gel des tarifs décidé en 2015 par « des hausses de tarifs additionnelles les 1er février de chaque année de 2019 à 2023 ». La formule de calcul est telle qu’elle entraîne un surcoût de 500 millions d’euros pour les usagers, selon les évaluations de l’Autorité de régulation des transports ferroviaires et routiers (Arafer).
De plus, l’accord a inscrit une hausse des tarifs, calculée sur une formule d’indexation sur l’inflation, allant jusqu’en 2029, voire 2031 pour certaines concessions. Au moment de la signature, nombre de contrats de concessions étaient sur le point d’arriver à terme. C’est dire que les négociations de la ministre des transports relèvent bien de la gesticulation, de la mise en scène politique.
Mais au-delà des tarifs et des durées de concession, c’est surtout la bienveillance de l’État à l’égard des sociétés concessionnaires qui frappe dans cet accord. L’État s’engage à compenser tout, la moindre modification de la fiscalité générale, des obligations nouvelles qui pourraient leur être imposées, des changements qui pourraient survenir. Rarement les intérêts publics ont été si malmenés. Pour les SCA, c’est l’assurance d’une rente perpétuelle et sans risque.

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France 2 : l’Œil du 20 heures
L’accord secret entre l’Etat et les sociétés d’autoroutes
Publié le 11 septembre 2017 <https://blog.francetvinfo.fr/oeil-20h/2017/09/11/laccord-secret-entre-letat-et-les-societes-dautoroutes.html>

https://blog.francetvinfo.fr/oeil-20h/2017/09/11/laccord-secret-entre-letat-et-les-societes-dautoroutes.html

Des hausses de prix aux péages jusqu’en 2023. C’est ce que contient un accord secret conclu entre l’Etat et les sociétés d’autoroutes. Un accord jamais rendu public. Mais au détour d’un péage, il a atterrit sur notre tableau de bord. Evidemment, on a regardé.

En 2015, Emmanuel Macron, ministre de l’Economie et Ségolène Royal ministre de l’Ecologie s’attaquent aux tarifs des péages : “il faut rendre aux automobilistes un peu d’équité tarifaire” annone Ségolène Royal sur BFM TV <https://www.dailymotion.com/video/x2cnitc>  en décembre 2014. Emmanuel Macron confirme que le gel des tarifs est acquis pour 2015.

Un gel des tarifs pour 2015, aussitôt attaqué en justice par les sociétés d’autoroutes. Après négociation avec leurs représentants, l’Etat finit par signer un accord, une sortie de crise. Mais à quelles conditions ?

A Grenoble, un ancien élu écologiste se bat pour le savoir. Depuis deux ans, il demande la publication de cet accord. En 2016, le tribunal administratif lui donne raison en enjoignant “le ministre de l’Economie de communiquer à Raymond Avrillier dans un délai de trois mois l’accord conclu le 9 avril 2015 entre l’Etat et les sociétés d’autoroutes.”

500 millions d’euros à la charge des automobilistes

Mais le ministre de l’Economie refuse de communiquer l’accord et saisit le Conseil d’Etat. Cet accord, nous l’avons obtenu. Il est signé par Emmanuel Macron et Ségolène Royal. Voici donc ce que décrochent les sociétés d’autoroutes. Elles s’engagent à financer 3,2 milliards de travaux sur 10 ans. En retour, elles obtiennent :

      • Une stabilité fiscale
      • Une clause pour allonger la durée des concessions

Et surtout, écrit noir sur blanc, pour compenser le gel des tarifs en 2015 des “hausses de tarifs additionnelles (…) chaque année de 2019 à 2023”. Un rattrapage étalé sur quatre ans. Et au final, les automobilistes devraient même payer plus cher qu’initialement prévu. C’est l’Arafer, une autorité indépendante de contrôle, qui l’a calculé dans ce rapport. Selon elle, le surcoût est de 500 millions d’euros à la charge des automobilistes. Un chiffre que les sociétés d’autoroutes contestent.

Qu’en pense Ségolène Royal, signataire de l’accord ? “Il y a un arbitrage avec le ministère des Finances. Appelez le ministère des Finances, j’étais contre. Vous avez eu cet accord signé de ma main ? Je ne crois pas.” Pourtant, c’est bien la signature de l’ancienne ministre qui figure sur l’accord. Comme suggéré par Ségolène Royal, nous avons contacté le ministère des Finances. Pas de réponse.

Mais pourquoi un tel accord ? Nous avons posé la question aux sociétés d’autoroutes : “l’Etat a bloqué les tarifs à l’occasion de la hausse prévue au 1er février 2015. Cette mesure est contraire aux contrats, elle est illégale. L’Etat a donc été contraint d’en compenser les effets.”

Alors, en a-t-on fini avec l’augmentation des péages ? Pas vraiment, de nouvelles hausses sont déjà prévues. Mais désormais, l’Etat a chargé l’Arafer <https://www.arafer.fr/> , l’autorité de régulation, de contrôler les sociétés d’autoroute. En janvier dernier, elles annoncent un plan de travaux de 803 millions d’euros sur l’ensemble du réseau. Des bretelles d’accès, de nouveaux péages, la rénovation d’aires de repos financé en majorité, par de nouvelles hausses de tarifs.

350 millions surestimés

Selon l’Arafer, les coûts des travaux sont surestimés par les sociétés d’autoroutes. Voici ce que nous confie un des responsables : “Sur les 800 millions d’euros, il y a 87 millions qui sont des opérations qui figuraient déjà dans les accords initiaux. Il n’y a pas à faire payer l’usager une deuxième fois pour ces investissements qui sont une obligation contractuelle.” En plus, 350 millions d’euros de travaux seraient surévalués. Prenons par exemple, les aires de covoiturage. La société d’autoroute Paris-Normandie qui gère l’A13 évalue le coût de construction d’une place autour de 7 000 euros. Est-ce le bon prix ?

Pour estimer le coût d’une installation de ce type, nous sommes allés dans l’Eure. Ici, c’est le département qui a fait construire cette nouvelle aire de covoiturage. Ça lui a coûté beaucoup moins cher. “Ça varie entre 2 500 et 3 500 euros mais en moyenne sur nos 400 places de covoiturage, on est à 3 000 euros”, nous confie le vice-président du département. Nous avons contacté l’association des sociétés d’autoroute. Concernant les conclusions de l’Arafer, elle nous renvoie vers le gouvernement.

Ce dernier suivra-t-il les avis de l’autorité de régulation ? Ils ne sont que consultatifs. Pour Hervé Maurey, sénateur de (UDI) de l’Eure, l’Etat serait bien inspiré de le faire. “Ce qui a été découvert par l’autorité notamment sur des coûts qui paraissent surprenants n’est pas acceptable, là-aussi il faut de la transparence pour connaître la réalité des coûts et faire en sorte que tout cela soit beaucoup plus équitable et transparent que ça ne l’est aujourd’hui.”

Le ministère des Transports doit maintenant se prononcer. A lui de valider ou non le montant des travaux annoncés par les sociétés d’autoroutes. Nous l’avons contacté, sans succès.

Des hausses de prix aux péages jusqu’en 2023. C’est ce que contient un accord secret conclu entre l’Etat et les sociétés d’autoroutes. Un accord jamais rendu public. Mais au détour d’un péage, il a atterrit sur notre tableau de bord. Evidemment, on a regardé.

En 2015, Emmanuel Macron, ministre de l’Economie et Ségolène Royal ministre de l’Ecologie s’attaquent aux tarifs des péages : “il faut rendre aux automobilistes un peu d’équité tarifaire” annone Ségolène Royal sur BFM TV <https://www.dailymotion.com/video/x2cnitc>  en décembre 2014. Emmanuel Macron confirme que le gel des tarifs est acquis pour 2015.

Un gel des tarifs pour 2015, aussitôt attaqué en justice par les sociétés d’autoroutes. Après négociation avec leurs représentants, l’Etat finit par signer un accord, une sortie de crise. Mais à quelles conditions ?

A Grenoble, un ancien élu écologiste se bat pour le savoir. Depuis deux ans, il demande la publication de cet accord. En 2016, le tribunal administratif lui donne raison en enjoignant “le ministre de l’Economie de communiquer à Raymond Avrillier dans un délai de trois mois l’accord conclu le 9 avril 2015 entre l’Etat et les sociétés d’autoroutes.”

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