Le 11-Septembre et l'image du terrorisme, par Jean-Claude PAYE

Point de vue | LEMONDE.FR | 09.09.11 |  par Jean-Claude Paye, sociologue, auteur du livre L’EMPRISE DE L’IMAGE, à paraître aux éditions Yves MICHEL début octobre 2011.
Les attentats du 11 septembre ont été l’occasion d’une formidable accélération de la transformation des codes pénaux et de procédure pénale. Cette mutation était déjà en cours depuis plusieurs années. Dans les mois et parfois les jours qui suivirent, les gouvernements ont pris des mesures qui restreignent les libertés publiques et privées. On est frappé par la rapidité avec laquelle les différentes lois ont été votées. La chose se comprend si on tient compte du fait que la plupart de ces modifications avaient été réalisées ou étaient prévues bien avant les attentats.
Les mesures prises à cette occasion finalisent la mutation du droit pénal et lui donnent une légitimité. Ce qui avait été réalisé en l’absence de toute publicité apparaissait au grand jour et se trouvait rétrospectivement justifié. L’absence de confrontation sur le contenu des législations a laissé la place à un discours paradoxal : il s’agit de mesures justifiées par l’urgence, mais qui s’inscrivent dans une guerre de longue haleine contre le terrorisme.
La “lutte antiterroriste” n’est pas seulement instrument de domination, mais aussi mode d’exercice de l’hégémonie. Elle installe un processus de consentement, d’acceptation par les populations de la remise en cause de leurs libertés. Cette nécessité de reconnaissance explique pourquoi ces différentes mesures prennent la forme du droit.
Si traditionnellement, la guerre est une marque de la souveraineté, il en est de même pour la guerre contre le terrorisme, mais ici il s’agit non seulement d’un acte de souveraineté extérieure, mais aussi intérieure, de gestion des populations. Elle est à la fois acte d’hostilité et opération de police, action contre des “États voyous” et possibilité de criminaliser des mouvements sociaux.
Dans tous les pays européens, les droits de la défense sont affaiblis. Aux Etats-Unis, ils sont complètement supprimés pour les étrangers désignés comme terroristes par l’exécutif. Des deux côtés de l’Atlantique, les citoyens sont soumis à des mesures de surveillance qui, autrefois, étaient réservées au contre-espionnage. Les civils, désignés comme terroristes, peuvent être soumis à des mesures de privation de liberté plus contraignantes que celles appliquées aux prisonniers de guerre.
La lutte antiterroriste abolit la distinction entre ennemi et criminel. Elle fusionne droit de la guerre et droit pénal. La loi américaine, le Military Commissions Act of 2006 insère dans la loi la notion “d’ennemi combattant illégal”, devenu “ennemi belligérant non protégé” en 2009. Le pouvoir exécutif étasunien peut désigner comme “ennemi” n’importe quel ressortissant d’un pays avec lequel il n’est pas en guerre et même ses propres citoyens. L’administration ne doit pas motiver sa décision, ni apporter le moindre élément matériel.
La mutation juridique et politique est profonde puisqu’elle renverse les relations établies entre les populations et leur gouvernement, le rapport entre l’instituant et l’institué. Ce ne sont plus les populations qui instituent le pouvoir, mais ce dernier qui détermine, parmi ses ressortissants, qui est un citoyen et qui est un ennemi, qui doit être exclu de la société. La transformation est telle que l’ordre symbolique de la société est touché.
Une personne est terroriste car elle est nommée comme telle. Ces textes établissent ainsi une identité entre le mot et la chose. Ils nous placent hors langage, en dehors de son pouvoir séparateur et consacrent le règne de l’image. Ils nous enferment dans la psychose. La substitution de l’image au langage nous ramène à un stade archaïque de fusion avec la figure de la mère, ici, celle de l’État maternant. Actuellement, la mère symbolique, en opposition aux formes paternelles du pouvoir, ne nous convie plus à la soumission, mais au consentement. Il s’agit d’une structure sociale où les individus sont plongés dans l’effroi et s’abandonnent à l’Etat. Ils acceptent la destruction de leurs libertés et renoncent au droit de disposer d’eux mêmes en échange d’une protection qui les annulent.
Comme fusion maternelle avec le pouvoir, la lutte antiterroriste évacue toute conflictualité. L’image maternante du pouvoir produit un déni du politique. Elle rejette les conflits et la différence. Elle s’adresse avec amour à des monades homogénéisées, avec lesquelles elle établit une relation intime virtuelle.
Ici, tout est productions d’images. Les différentes notions, spécifiant l’acte et l’organisation terroristes, se présentent comme des constructions abstraites incarnant le regard porté sur les accusés. Elles n’ont pas pour objet de s’attaquer à une forme de criminalité particulière. Les codes pénaux contenaient déjà tout ce qui est nécessaire pour faire face à la matérialité des délits. Ces images ont une autre fonction, elles nous regardent. Elles nous intiment de nous taire, de ne prononcer aucune parole, ni d’établir aucune coupure avec le pouvoir maternel. Tel le regard de Méduse, elles nous transforment en statues de pierre.
Jean-Claude Paye est l’auteur de De Guantanamo à Tarnac : L’emprise de l’image. Editions Yves Michel. À paraître en octobre 2011.

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