Lettre aux indignés n°3: le déroulement de la crise, par Claude Neuschwander
Lettre aux citoyens indignés par les turpitudes des financiers et des puissants. Lettre N° 3
Il est intéressant de s’arrêter un instant, à titre d’exemple, sur la dernière crise, celle des “subprimes”, dont nous vivons actuellement, depuis 2007, les dramatiques conséquences, pour nous convaincre, si besoin était, qu’à la base on trouve autant de turpitudes avérées que d’impudences financières et d’irresponsabilité politique.
Cette crise se déroule en trois périodes distinctes qui s’enchaînent :
1. La première voit le drame se nouer aux Etats-Unis : la profession du bâtiment fait face à des difficultés dues à la saturation du marché des maisons particulières, car toutes les familles aisées, ou presque, sont désormais pourvues. Il est donc envisagé, par les constructeurs, en liaison avec les institutions de crédit, de s’attaquer à ceux qui n’ont pas de maison, c’est à dire les pauvres, ceux qui n’ont ni argent, ni situation. La raisonnement prend en compte le fait que le prix de l’immobilier est en augmentation croissante : la projet retenu se propose donc d’offrir à ces familles pauvres d’acheter à crédit une maison, ce dont chacune rêve. Les deux premières années les mensualités de remboursement seront faibles car le taux d’intérêt démarre très bas, le temps de ferrer le client. Au bout de deux ans, le taux devient usuraire, mais il est envisagé que le prix de la maison ayant augmenté avec le marché, les familles pourront bénéficier d’un autre prêt hypothécaire, assis sur cette augmentation, ce qui leur permettra, bien que surendettés, d’assurer leurs échéances ! En fait, les prix du marché n’augmentent pas, bien au contraire, la manipulation risquée ne peut se mettre en place ; les familles, incapables de faire face aux échéances, voient leurs biens saisis – parfois contre toute légalité – et aussitôt vendus aux enchères. L’importance du nombre de biens vendus pèse de plus en plus sur les cours du marché qui s’effondrent, aggravant encore le mécanisme de la crise. La bulle éclate et menace banques et établissements financiers.
2. La deuxième période voit la crise prendre une dimension nationale aux Etats-Unis, puis à travers la planète : les banques qui ont consenti des prêts aux familles pauvres se sont débarrassées, au plus vite, des créances dont elles disposaient en les refilant à des spécialistes du refinancement, et notamment à deux géants du marché : Fanny Mae et Freddie Mac. C’est là qu’interviennent les petits génies qui programment les stratagèmes de la finance. Ils proposent de créer des “special purpose vehicles”, les SPV, produits financiers qui amalgament des créances à risques, mais à forte rentabilité potentielle – conséquence directe des taux usuraires imposés aux familles. C’est alors que les agences de notation démontrent toute leur capacité de nuisance : loin d’obéir à une rationalité objective dans leurs choix et leurs recommandations, elles font le pari du mimétisme probable et recommandent ce qu’elles croient devoir devenir la croyance générale du marché. En orientant ainsi les moutons de Panurge de la finance, et en donnant une très bonne note à des produits pourtant objectivement “pourris” elles font de ces placements des sous-produits du hasard, et transforment ce qui aurait pu rester une crise limitée en une banqueroute mondiale ! Car du fait de leur rentabilité ainsi affichée, contre toute évidence, les SPV américains séduisent les financiers et les banquiers du monde entier, beaucoup moins compétents qu’on ne le dit. La crise devient alors planétaire. Les banques européennes qui se sont goinfrées de ces obligations pourries, se mettent à douter les unes des autres et du coup bloquent le mécanisme de financement de l’économie par des prêts, notamment à court terme, ce qui constitue pourtant leur objet social fondamental. La faillite de la banque Lehman Brothers, effective le 15 décembre 2008 et directement liée à son implication insensée dans les subprimes, s’avère le réel déclencheur de la crise mondiale. La banque est alors dirigée depuis 14 ans par un financier ultra libéral qui prend en permanence le risque le plus important, car en vrai joueur de poker, il est convaincu que c’est ainsi que l’on peut gagner le plus d’argent possible ! Hélas pour sa banque, pas toujours !
3. La troisième période se déroule dans un climat d’incertitude qui ressemble davantage à l’ambiance d’un Casino qu’à celle d’un Conseil d’administration. La décision prise par les Etats de soutenir leurs banques conduit la spéculation mondiale, un instant décontenancée, à s’interroger sur l’état des finances des différents pays européens avant d’orienter, d’abord contre leur endettement, puis contre l’Euro, leurs mécanismes spéculatifs, réputés imparables. On sait que les financiers ont besoin pour pouvoir gagner beaucoup que les marchés auxquels ils s’intéressent voient leurs cours connaître des mouvements incontrôlés de forte ampleur.Ils constatent ces écarts dont ils sont souvent la cause originelle et ils en jouent sans vergogne. Après l’Irlande, la Grèce, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, puis l’Euro sont tour à tour attaqués. La rapidité de réaction des institutions financières leur donne, en outre, un avantage décisif sur des gouvernements et sur des économies qui ont besoin de beaucoup plus de temps pour réagir et prendre les décisions appropriées ; d’autant que les Pays membres de l’Union Européenne et tout particulièrement ceux de la zone Euro, n’ont mis en place aucune gouvernance économique commune alors même qu’ils installaient, avec l’Euro, une monnaie unique.
Claude Neuschwander, auteur de Claude Neuschwander, une vie de militances
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