Forger un nouveau consensus sur le terrorisme

par François de Bernard, philosophe et consultant; auteur de: La Fabrique du terrorisme, Editions Yves Michel, 2008, voir sur ce site.
Le terrorisme est aujourd’hui l’objet d’une omerta sans équivalent. Ce que cette loi du silence dissimule, c’est que la définition et la désignation du terrorisme comme terrorisme sont devenues des enjeux de pouvoir considérables balisant les nouveaux rapports de forces contemporains.
Quand M. Uribe déclare que les FARC sont terroristes et qu’il faut les combattre comme telles sans concession et jusqu’au bout, il ne suscite que très peu d’objections rationnelles. Quand M. Poutine déclare aussi « terroristes » successivement tous ses opposants effectifs ou potentiels, quand il annonce « Nous poursuivrons les terroristes partout, même dans les toilettes s’il le faut. On les buttera dans les chiottes. La question est close », il ne provoque guère que cris d’orfraies et regards gênés d’eurocrates bien-pensants.
Quand M. Bush confirme la « guerre au terrorisme » comme sa grande cause, justifiant toutes les exactions de ses troupes, tous les actes illégaux de ses séides, et malgré le démenti permanent que lui inflige le réel depuis sept longues années, il le fait avec le cynisme absolu qui l’autorise à délimiter avec une parfaite désinvolture le périmètre du terrorisme et le nom de ceux qui en seraient les seuls acteurs.
Or, ce qui constitue la spécificité du terrorisme contemporain réside précisément dans la capacité à revendiquer, avec l’incomparable appui de la caisse de résonance médiatique : soit les actes terroristes eux-mêmes, soit la stigmatisation du terrorisme et de ses opérateurs — une telle stigmatisation s’attribuant le droit d’exercer en retour des moyens comparables à ceux déployés par « les terroristes » eux-mêmes…
On peut ainsi repérer dans cette convergence une forme de consensus introuvable sur lequel il paraît plus que temps de s’interroger avec une vivacité critique ad hoc.
Ce n’est certes pas par hasard que, lors de la dernière période de son mandat, l’honorable Kofi Annan a été barré avec constance dans ses initiatives pourtant très raisonnables de codification multilatérale du terrorisme et des moyens de lutter collectivement contre lui. En effet, du point de vue de ses mandants étatiques, et des plus puissants, en particulier, il a franchi une ligne rouge évidente : celle de la nomination politique et historique. Tout Secrétaire général des Nations Unies qu’il était, il a omis ou voulu ignorer que le droit de nomination (du terrorisme comme des « intérêts vitaux » ou de l’« identité nationale ») restait un attribut essentiel de la souveraineté des Etats, et, plus encore : de ces puissances que l’on dit « mondiales », par distinction des « régionales » et des « locales ».
Que proposait Kofi Annan ? En substance, rien que des choses « correctes », à savoir une stratégie globale et cohérente (« comprehensive »), articulée par cinq objectifs devant être poursuivis ensemble afin de lutter efficacement contre le terrorisme : « Premièrement, dissuader les groupes en rupture de ban de choisir le terrorisme comme tactique ; deuxièmement, priver les terroristes des moyens de mener à bien leurs attentats ; troisièmement, décourager les États d’aider les terroristes ; quatrièmement, renforcer la capacité des États de prévenir le terrorisme ; et, cinquièmement, défendre les droits de l’Homme dans la lutte contre le terrorisme ».
Pourtant, ce programme assez peu révolutionnaire a été rejeté comme s’il émanait du Diable : « Alors que le Conseil [de Sécurité] a condamné le terrorisme sans équivoque, sans aucune réserve, pour la première fois dans l’histoire des Nations Unies, il n’a ni entériné la stratégie de lutte contre le terrorisme, pourtant largement saluée, qu’avait proposée le Secrétaire général, ni trouvé un accord sur la définition du terrorisme . »
En vérité, si le consensus ne s’est pas fait sur une définition œcuménique du terrorisme ni sur la stratégie proposée par M. Annan, les motifs en sont aussi simples qu’inavouables. D’une part, cela aurait porté atteinte à l’utilisation discrétionnaire du terrorisme d’Etat, et simultanément à la légitimité des méthodes de répression anticipée de toute autre forme de terrorisme déployées par plusieurs pays membres de l’ONU coutumiers de ce terrorisme d’Etat. D’autre part, force est de reconnaître qu’un consensus tout à fait différent préexistait à celui que M. Annan espérait obtenir avant la fin de son mandat, et qu’il n’a pas réussi à le briser au profit de celui qu’il souhaitait promouvoir.
Ce consensus précédent fait se rejoindre de longue date les plus puissants intérêts souverains et privés de la planète (par ailleurs en conflit ouvert dans bien d’autres domaines) sur la conviction commune qu’il n’y a au fond que des avantages à maintenir la définition du terrorisme à géométrie variable, et par conséquent aussi celle des moyens de lutte à son égard.
Face aux intérêts liés des Etats les plus influents, qui sont à la fois juge et partie, et constatant l’immobilisme du système multilatéral en la matière, il revient ainsi à la société civile internationale et au monde de la recherche d’œuvrer en faveur d’un nouveau consensus.
Ce consensus, rompant décisivement avec celui qui domine la scène internationale depuis le début du Millénaire, fondé sur une analyse historique, philosophique et anthropologique sans concession des origines du terrorisme contemporain, de ses figures, des liens qu’elles entretiennent et de leurs approches transdisciplinaires, constitue la seule perspective à même de modifier la donne honteusement faussée de la prétendue « lutte contre le terrorisme », dont tout atteste à ce jour qu’elle n’a pour vocation et résultat que de le perpétuer et multiplier sans fin.

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